Transvulcania 2022 đ
VoilĂ comme plusieurs personnes ont demandĂ©, voici un compte-rendu, ou quelque chose qui y ressemble, de l’Ultramarathon de La Palma. Commençons par la fin: un peu plus de 13 heures pour terminer la course. Ni fier, ni déçu, ça reste super de pouvoir terminer une telle course sans avoir fait d’entraĂźnements spĂ©cifiques (montagne, altitude, sorties longues, …) mais d’un autre cĂŽtĂ© l’objectif initial, Ă savoir terminer en moins de 12 heures, Ă©tait totalement accessible s’il n’y avait pas eu… vous allez la savoir plus loin.
L’Ăźle de La Palma, une des 7 Ăźles Canaries đźđš. Image acquise par Sentinel-2 le 14 mars 2023. |
Pour essayer de structurer un peu l’histoire je vais reprendre la course par tronçons comme sur leur site web. Enfin, juste pour avoir un peu de contexte sur la course et pourquoi je la refaisais, j’ai Ă©crit quelques lignes ici: transvulcania 4° Ă©pisode.
Le profil de la course et les zones de ravitaillement. |
La stratĂ©gie de course elle est simple: ne pas se cramer sur les 50 premiers kilomĂštres, afin de pouvoir bien faire les 17 km de descente depuis le sommet de l’Ăźle. Et pour la bouffe: boire frĂ©quemment, bien mangĂ© entre les ravitos, et Ă©viter si possible les gels et l’excĂšs de boisson isotonique. Et petit dĂ©tail: la montre ne m’affiche ni le temps, ni les km, juste la frĂ©quence cardiaque et l’altitude. Par expĂ©rience je sais que tant que je ne regarde pas les km, c’est que tout va bien.
Avant la course
La question habituelle c’est: “alors, tu stresses?â Personnellement avant une course comme ça je ne me sens pas hyper bien. Pas Ă cause de la course mais parce qu’on est censĂ© se reposer, ne pas courir, et ça c’est pĂ©nible. LĂ en plus j’Ă©tais seul (sans les enfants), donc pas spĂ©cialement de quoi me distraire. Heureusement en allant faire les courses j’ai quand mĂȘme profitĂ© pour faire un petit dĂ©tour avec quelques escaliers.
Quelques escaliers ne font jamais de tort. |
Le départ
DĂ©part vers 4h30 de la maison pour prendre le bus Ă 5h, personne dans les rues, sauf des coureurs. Environ une heure de trajet en bus, que beaucoup avait pensĂ© utiliser pour dormir, c’Ă©tait sans compter sur 2 coureurs qui parlaient bien fort en racontant leurs “aventuresâ, genre: “hier on a mangĂ© plein de viande, et on Ă©tait six au restau!â. Moi ça m’a fait rire ce qu’ils racontaient, de toute façon j’avais assez dormi les jours avant pour ne pas en avoir besoin Ă ce moment-lĂ .
Phare de Fuencaliente, Ă l’extrĂȘme sud de La Palma. |
Le car arrive quand mĂȘme fort juste au lieu de dĂ©part, il y a tellement de trafic (alors que les voitures ne sont pas autorisĂ©es) que le bus nous lĂąche bien avant, donc on doit descendre un chemin en mode “trailâ, Ă la frontale. Dans le sas de dĂ©part c’est un peu la fĂȘte, moi là ça me saoule dĂ©jĂ , l’organisation a Ă©tĂ© merdique depuis le dĂ©but, donc les “toutes les mains en l’airâ c’est sans moi.
Quelques minutes avant le départ. |
Faro de Fuencaliente â Los Canarios
DĂ©part donnĂ© Ă 7h10 au lieu de 7h car tout le monde n’Ă©tait pas lĂ … ça montre dĂ©jĂ le niveau. Au programme: 7 km de montĂ©e dans des chemins couverts de pierres volcaniques, pas de quoi s’exploser. Normalement la course prend directement des petits chemins, mais vu que les autres annĂ©es les coureurs dĂ©passaient n’importe comment dans cette zone protĂ©gĂ©e, on a eu droit Ă 2 km d’asphalte pour commencer!Il faut noir, il faut frais, presque tout le monde discute de la pluie et du beau temps. Moi je suis le plan et reste dans le vert, mĂȘme si j’ai envie de laisser tourner les jambes.
On arrive au village, comme d’hab il y a des gens dehors, certain(e)s en pyjama, mais on dirait quand mĂȘme que ce n’est pas le mĂȘme engouement que lors des premiĂšres Ă©ditions, oĂč c’Ă©tait rĂ©ellement la folie (on comparait ça Ă une arrivĂ©e de Tour de France đ).
Ligne de coureurs juste avant lever de soleil. Ăa c’est de la photo de course!. |
Fuencaliente â Las Deseadas
Rien Ă se mettre sous la dent au ravito, lĂ c’est moi qui Ă©tait trop optimiste (et mal informĂ©), pas grave j’ai de quoi tenir. On part maintenant pour une bonne montĂ©e jusqu’Ă quasi 2000 m d’altitude Ă travers les volcans et les forĂȘts de pins canariens (Pinus canariensis pour les spĂ©cialistes). Jamais eu de problĂšmes dans cette partie donc ça se passe bien, j’en profite pour prendre quelques photos. Normalement on peut sortie les bĂątons de rando (avant le ravito c’Ă©tait interdit), mais je prĂ©fĂšre continuer sans eux encore quelques kilomĂštres. Il faut savoir que beaucoup de coureurs sont dangereux avec des bĂątons donc je vais attention aux autres et Ă moi.
Vue vers l’est avec Tenerife derriĂšre les nuages |
Une fois au ravito, je suis surpris de ne toujours rien voir Ă manger (bande de radins), ça m’oblige juste Ă ouvrir le sac et prendre l’une ou l’autre barre. Certaines annĂ©es on avait eu des bananes je pense, mais bon faut pas trop demander Ă l’organisation UTMB…
Las Deseadas â Refugio del Pilar
Ici on repart pour une longue descente, elle peut ĂȘtre casse-gueule par endroit mais comme on court sur du gravier de roche volcanique (lapilli est le terme correct; picĂłn aux Canaries) les chocs sont amortis et les jambes ne souffrent pas. Je fais quand mĂȘme attention de ne pas exagĂ©rer en vitesse car ça se paierait vite.
Descente vers le Pilar.
On voit au loin la Caldera de Taburiente, dont on va suivre la crĂȘte une grosse partie de la course. Au ravito j’en profite pour remplir mon sac de bouffe et surtout bien boire. Tout est (encore) sous contrĂŽle et je profite bien. Mal nul part, respiration lente, bonnes sensations… juste un peu faim mais ce sera vite rĂ©solu.
La Caldera de Taburiente en arriĂšre-plan, une vue impresionnante de ce qui nous attend pour le reste de la course. |
Refuge du Pilar â El ReventĂłn
Pas grand monde au Refuge du Pilar, peu importe, j’en profite pour bien manger et boire. Puis repars assez vite vers la suite. Je me souviens bien de cette partie car en 2015 j’avais commencĂ© Ă sentir un peu de fatigue et avait arrĂȘtĂ© de courir, car le trajet suivait une longue piste forestiĂšre hyper chiante. Cette annĂ©e, changement, on nous envoie sur un chemin quasi parallĂšle Ă la fameuse piste, cette fois dans une zone boisĂ©e et mon monotone.
Vue depuis la piste de la Hilera. |
Les jambes tournent bien et j’anticipe un peu le prochain ravitaillement, car aprĂšs celui-ci, on sera sans assistance durant 16 km, dans une zone complexe avec plus de 1400 m de Dâș. Bref, je recharge le sac d’eau Ă fond (2 litres) et prend une bouteille flask de 500 ml et la remplis dâisostar (peut-ĂȘtre une erreur). Avec ça, ça devrait aller!
El ReventĂłn â Pico de la Cruz
Et c’est parti pour ces 16 longs kilomĂštres. Dans ma tĂȘte ça peut prendre 3 heures, le truc est juste de ne pas lĂącher et de garder un bon rythme de montĂ©e, et puis de relancer la course Ă chaque descente, mĂȘme si elle est courte. On commence Ă sentir l’altitude et Ă tomber sur des coureurs assis en bord de chemin, tĂ©lĂ©phone Ă la main, … des abandons. Parfois on veut leur dire: “allez, lĂąche pas, viens avec nous”, mais presque personne ne le fait: s’ils sont assis lĂ , c’est qu’ils sont passĂ©s par quelque chose de trĂšs difficile et donc ce n’est pas un inconnu qui va relancer leur course. Malheureusement.
J’ai l’impression que mes mollets veulent me parler, pour me dire que j’ai de la chance d’utiliser les bĂątons, sinon ils m’auraient bien fait souffrir!
AprĂšs quelques kilomĂštres on arrive Ă un point de contrĂŽle qui n’est toutefois pas une zone de ravito: le Refuge de la Punta de los Roques. On y sert de l’eau (je suppose qu’elle a Ă©tĂ© amenĂ©e par hĂ©licoptĂšre, sinon???). Juste aprĂšs cette montĂ©e, une vertigineuse descente qui n’aide pas vraiment, vu que de toute façon il faudra continuer de monter encore et toujours, jusqu’Ă atteindre le somment de l’Ăźle.
L’intĂ©rieur de la Caldera de Taburiente. |
Je perds un peu la notion du temps mais ça va globalement bien. Avec du recul je pense que le tipping point est survenu dans cette zone-lĂ : j’ai l’impression d’avoir le mal d’altitude, la tĂȘte qui tourne un peu, les jambes OK, et bizarrement le nez qui coule en quasi continu. L’altitude du GPS n’est pas correcte, on doit ĂȘtre vers les 2300 m et la vĂ©gĂ©tation change: pratiquement plus de pins canariens, sinon des plantes basses (Adenocarpus viscosus, Genista benehoavensis, …). Il fait limite froid (si on s’en tient aux vĂȘtements des spectateurs et photographes), mais pour les coureurs ça va, c’est-Ă -dire que les gants (!), la deuxiĂšme couche et la veste (indiquĂ©s comme matĂ©riel obligatoire) resteront au fond du sac.
Pico de la Cruz â Roque de los Muchachos
J’arrive au ravitaillement un peu limite, donc je m’asseois et prends le temps. Je pense qu’Ă ce moment-lĂ si quelqu’un m’avait examinĂ©, il m’aurait peut-ĂȘtre dit d’arrĂȘter. Enfin voilĂ , je repars pour les 4 kilomĂštres jusqu’au sommet. Ăa monte et ça descend, on en a l’habitude, et pour agrĂ©menter le tout, une dame (pas trĂšs gentille) nous dit “bĂątons interdits jusqu’au sommet”. Je pense que je n’en ai rien Ă f**, je les plie et range dans le sac, les mollets vont encore vouloir me parler mais je ferai la sourde oreille.
De nombreux tĂ©lĂ©scopes se trouvent prĂšs du sommet de l’Ăźle. |
J’arrive pĂ©niblement au Roque de los Muchachos (2426 m) mais pour ĂȘtre honnĂȘte, personne n’arrive vraiment frais ici. L’altitude et les 50 km prĂ©cĂ©dents font leurs effets. Ce c**ard de GPS me dit que je ne suis qu’Ă 2200 m d’altitude, ça ne change rien Ă ma situation mais il pourrait au moins collaborer.
Roque de los Muchachos â Torre del Time
La zone de ravitaillement du Roque de los Muchachos. |
J’ai souvent fait l’erreur de repartir trop vite de la zone de ravitaillement alors ici je prends mon temps. Comme disent certains: c’est ici que la course commence vraiment. Il reste 17 km de descente, puis 6 de montĂ©e, ça veut dire qu’il faut encore pouvoir courir, sinon c’est le carnage (17 km en marchant, ça peut vite tourner vers les 4 heures!).
Ce dont je ne me souvenais pas, c’est que la descente est entrecoupĂ©e de petites montĂ©es bien raides, heureusement le plan fonctionne bien et je cours sans problĂšme quasi tout le temps (en dehors des photos). Pour la premiĂšre fois depuis le dĂ©part, je dĂ©cide d’afficher la distance parcourue sur la montre, afin de voir combien il reste jusqu’au prochaine ravitaillement (10 km au total). Le paysage est spectaculaire et surtout, j’ai l’impression que le mal d’altitude disparaĂźt (par contre le nez coule toujours).
Vue de la Caldera de Taburiente. |
La descente se dĂ©roule plutĂŽt bien et le moral remonte quand je compare avec la descente des autres Ă©ditions. Je regarde la montre toutes les 5 minutes (jamais un bon signe), les kilomĂštres dĂ©filent et nous voici Ă quelques hectomĂštres de la Torre del Time, 1000 m d’altitude. All good.
Depuis la Torre del Time. |
Au ravitaillement je bois beaucoup (trop?), je mange, discute avec les bĂ©nĂ©voles… et lĂ … crac. Douleur dans le ventre. Survenue d’un coup, comme si j’avais mangĂ© quelque chose de pas frais. Fait ch***. Je reste quelques minutes assis, car oui, ça va vite passer. Ăa ne passera pas avant 11 du soir (donc bien aprĂšs la course)!
Torre del Time â Tazacorte
Bon faut continuer, mais ce genre de douleur prend tout l’attention, je n’ai plus envie de courir et surtout, le sentier devient rĂ©ellement difficile, le parfait endroit pour s’exploser une cheville et abandonner. Le calvaire peut commencer! Quand je parviens Ă courir je dĂ©passe des gens, puis aprĂšs je dois m’arrĂȘter, pliĂ© en 2. Ă ce moment-lĂ je comprends que l’objectif de passer sous les 12 heures je peux l’oublier. Dans ma tĂȘte je sais que je vais arriver, mais pu***, de nouveau dans le gouffre alors que tout allait bien.
Le nouveau volcan, né en 2021. |
Pour me consoler je prends des photos du volcan Tajogaite, entrĂ© en eruption il y a un peu plus d’un an. Parfois il y a des bĂ©nĂ©voles sur le bord du chemin, quand je m’arrĂȘte ils demandent
Tu veux arrĂȘter?
je leur rĂ©ponds que non, que j’ai juste envie de vomir. Une fois sur la grand route je discute un peu avec la Croix Rouge, en me disant qu’ils auront peut-ĂȘtre un truc Ă me proposer, n’importe quel mĂ©doc, vu que je ne prends jamais rien, m’aurait probablement sauvĂ©, mais non, le seul truc qu’ils me disent c’est que si j’ai encore mal au prochaine ravitaillement (3 km plus bas) je n’ai qu’Ă demander qu’on me ramĂšne (i.e.: abandon). Super plan!
Comment je suis sorti de cette impasse? Un gars qui avait appelĂ© les gens de la Croix Rouge me demande si ça va mieux (rĂ©ponse Ă©vidente: non), mais bon, on se fait un check đ, et il me dit:
tu vas finir alors?
et je lui dis que oui. C’Ă©tait suffisant pour le faire. Les 3 derniers km de descente se passe quasi comme sur des roulettes, je redĂ©passe plein de gens mĂȘme si la douleur est exactement la mĂȘme.
Descente vers Tazacorte. |
Sur le bord du chemin, on tombe sur un coureur couchĂ© et tremblant, entourĂ© de pompiers. LĂ on se dit: l’air de rien cette course elle peut faire trĂšs, trĂšs mal. Une fois Ă la plage de Tazacorte, je mange une pomme et bois un peu d’eau, puis c’est reparti pour la montĂ©e finale.
Tazacorte â Ligne d’arrivĂ©e
La montĂ©e ne comporte que 300 m de Dâș, sur des chemins de pierres hyper durs, avec plusieurs traversĂ©es de routes. Je ne prends mĂȘme pas la peine de sortir les bĂątons, ça fera mal et tant pis. Le soleil se couche, ça sent fort les 13 heures de course et je me dis que ça aurait pu ĂȘtre pire.
Une fois Ă 300 m d’altitude, il reste une longue avenue Ă parcourir. Tout le monde marche, normal, mais mes jambes sont plutĂŽt contentes d’ĂȘtre lĂ , donc autant courir. Il y a pas mal de monde sur les bords de la route, visiblement contents que je cours, donc ça dĂ©roule, ça se termine Ă du 3'45’’/km.
AprĂšs la ligne d’arrivĂ©e je vois plein de coureurs bien Ă la ramasse, ça me fait penser que c’est un beau gĂąchis ce que j’ai fait, mais en mĂȘme temps en considĂ©rant tout ce qu’i y a autour, les entraĂźnements (limitĂ©s), le boulot, les enfants… ça reste une solide perf'.
Conclusions
Certains diront que c’est un exploit, mais ce n’est pas le cas. C’est juste une course et comme on dit, il faut pouvoir aller au charbon. Dans ma tĂȘte j’avais envie de montrer que mĂȘme avec des enfants trĂšs jeunes, un boulot qui prend du temps, et surtout un terrain d’entraĂźnement relativement plat, il y avait moyen de s’en sortir en un morceau.
Un mois aprĂšs le trail j’ai aussi rĂ©digĂ© cet article post-course
Remerciements
Je ne pensais pas Ă©crire cette partie, maintenant ça fait un peu comme une thĂšse de doctorat, ça me fait rire: je tiens Ă remercier en premier lieux mes enfants et ma compagne, ils ont Ă©tĂ©, sans le savoir, une source d’inspiration et de motivation. J’ai appris ce que voulait dire “s’entraĂźner en Ă©tant fatiguerâ et “trouver du temps lĂ oĂč il n’y en a pasâ, ce qui est toujours utile dans la vie.
Merci aux collĂšgues du Sart Tilman, c’est toujours un plaisir de courir avec vous tous ces temps de midi, et ça doit justement rester un plaisir! Merci Ă Arnaud pour ces sĂ©ances “tranquillesâ oĂč au final on Ă©tait plus proche du 4 min/km que du 5 min/km. Merci Ă Jordi pour tout ce qui est prĂ©pa physique, je crois que ça a portĂ© ses fruits, et merci Ă Alberto C. qui a eu cette riche idĂ©e de me proposer de faire cette course l’annĂ©e derniĂšre quand on s’entraĂźnait tranquillement Ă Gran Canaria.
Mes excuses si j’ai oubliĂ© quelqu’un (il n’est jamais trop tard pour Ă©diter).